Par arrêté en date du 4 août 2022, Madame la Bâtonnière délégataire de l’Ordre des Avocats de Guinée vient de décider d’interdire à mon associé et confrère Mamadou Konate, avocat inscrit aux barreaux du Mali et de Paris de postuler et de plaider devant les juridictions de la Guinée pour le compte de son client, Monsieur Ibrahima Kassory FOFANA, ancien Premier ministre de la République de Guinée, poursuivi devant la Cour de Répression des infractions économiques et financières (CRIEF), et actuellement en détention préventive à la prison de Conakry depuis le 06 avril 2022.
Pour justifier cette décision inique, Madame la Bâtonnière invoque l’absence de convention de réciprocité entre les barreaux de Paris, du Mali et de la Guinée, mais elle fait surtout grief à mon associé d’avoir traité le procureur spécial de « menteur » lors d’une émission radiodiffusée.
Nous y voilà…….
Lorsque Madame la Bâtonnière, n’est plus l’avocat des avocats mais se fait Procureure du Procureur à l’encontre d’un de ses confrères, le symbole n’en est que frappant !!!
Nous y voilà donc à ce stade ultime de collusion manifeste et multifactorielle d’une Justice qui marche sur la tête.
Une décision fort heureusement décriée par plus de 200 avocats de plus d’une trentaine de barreaux d’Afrique et de France à travers des tribunes et autres pétitions.
En premier lieu, il faut effectivement dénoncer avec la dernière énergie la dynamique d’exclusion qui se met en place et qui ne dit pas son nom dans quasiment tous les barreaux africains à l’égard d’autres confrères africains.
Jusqu’ici le phénomène était diffus et latent. D’abord on leur interdit l’inscription sous des prétextes fallacieux sur les tableaux de pays dont bien souvent ils sont originaires, maintenant il s’agit de passer à une étape supérieure en leur interdisant clairement de plaider ou d’occuper pour des clients au niveau national.
Le danger est là et bien réel.
Il s’agit ni plus ni moins d’un repli nationaliste et xénophobe.
En deuxième lieu, il s’agit de faire respecter « l’immunité de robe » partout où la défense et la liberté d’expression de l’avocat sont nécessaires pour le compte de son client. Traiter un procureur spécial de menteur alors même qu’il lui était simplement rappelé le principe de la présomption d’innocence dont il faisait fi par des déclarations médiatiques effectivement mensongères en violation du principe d’égalité des armes, serait manifestement discourtois et inacceptable selon Madame la Bâtonnière pour un avocat.
S’il est vrai que le Procureur de la République est un membre éminent de l’Institution judiciaire d’un pays, l’avocat n’en est pas moins un acteur majeur, celui-ci ne lui est pas subordonné et ne lui doit pas déférence : son indépendance est le gage d’une défense efficace et sans compromis.
La liberté d’expression de l’avocat nécessite une protection renforcée et multiforme car c’est un membre particulier de la société dont l’office est précisément de porter la voix des autres.
La voix des sans voix dit-on même.
Sa mission de défense requiert qu’il puisse dire tout ce qui lui semble utile aux intérêts de son client face à la machine judiciaire. Dans cette défense seront discutées, analysées et critiquées les preuves recueillies, la procédure, mais également selon les cas, l’institution judiciaire.
C’est pourquoi, en France l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit l’immunité pénale de l’avocat lorsqu’il plaide devant une juridiction ou qu’il produit des écrits à sa destination. Dans ces situations, il ne pourra être poursuivi pour diffamation, injure ou outrage, si les propos tenus sont relatifs à l’affaire en passe d’être jugée.
Cette “immunité de robe” permet donc à la défense de pouvoir s’exercer pleinement sans crainte d’une action en représailles contre des propos qui auraient été tenus à l’audience. Il pourra s’agir de critiquer avec force les conditions dans lesquelles le client de l’avocat a été entendu, le déroulement d’une enquête réalisée avec précipitation.
Cette faculté de critique est l’un des corollaires d’un procès équitable.
La critique, la discussion des arguments et l’opposition aux attitudes parfois injustifiées des magistrats qu’ils relèvent du parquet ou du siège permettent à l’avocat de protéger son client du risque de l’arbitraire d’une décision. Ce rôle incombe à l’avocat et à nul autre : si lui ne se lève pas pour contester le traitement dont fait l’objet son client, personne d’autre ne le fera.
L’immunité de robe révèle ainsi son intérêt à ce moment précis : quand l’avocat doit prendre le risque de s’attaquer frontalement aux magistrats notamment les procureurs pour dénoncer des comportements.
C’est cela que Mamadou Konaté fait avec constance et avec talent depuis plus de 25 ans. C’est cela qui apparait insupportable aux yeux de certains. Mamadou Konaté est un avocat passionné qui consacre toute son énergie à la défense de ses clients et qui ne peut souffrir de restreindre sa liberté d’expression au seul motif qu’il évoque la cause dont il est saisi devant les journalistes au lieu de s’adresser à des magistrats.
Bien qu’aucune règle de droit ne vienne encadrer spécifiquement l’expression de l’avocat en dehors des tribunaux, hormis les règles de déontologie de l’avocat, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a, par exemple, étendu la protection de la liberté d’expression de l’avocat à des situations dans lesquelles, il n’était pas dans l’enceinte d’un tribunal.
Il s’agit alors de garantir un droit de critique plus large que celui octroyé par l’immunité de robe.
Il est ainsi permis à l’avocat de critiquer le système judiciaire dans sa globalité et de prendre position sur des éléments de procédures dans lesquelles ses clients sont impliqués, si des circonstances le justifient, à l’extérieur du tribunal.
L’heure de la mobilisation a sonné !!
Voilà pourquoi, j’invite tous ceux qui le peuvent qu’ils soient avocats, juristes ou pas de bien vouloir signer la pétition en soutien à Mamadou Konaté
Bakary Diallo
Avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit